“What Goes Around... Comes Back Around” : Revisiter la résistance dans la musique mainstream

56e Congrès de l’AFEA
Université de Picardie Jules Verne, 20-23 mai 2025

« Résistance »


Proposition d’atelier « Musiques populaires »

Responsables : Paul-Thomas Cesari, Simon Hierle, Claude Chastagner (université Paul-Valéry, Montpellier 3)
paulthomas.cesari@gmail.com
simon.hierle@unilim.fr
claude.chastagner@univ-montp3.fr 


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“What Goes Around... Comes Back Around” : Revisiter la résistance dans la musique mainstream

À partir des années 1970, sous l’impulsion des subcultural studies développées par le Centre for Contemporary Cultural Studies de l’université de Birmingham, de nombreuses formes de musique populaire anglophone (rock, punk, rap, reggae, afrobeat, etc.) ont été perçues comme autant d’expressions symboliques de résistance à l’autorité sous toutes ses formes, du pouvoir politique au système capitaliste, en passant par l’armée, l’école, la famille, le patriarcat, etc. Pour George Melly, Dick Hebdige, Stuart Hall, Tony Jefferson et bien d’autres, en détournant les produits de l’industrie culturelle, les amateurs de musique mettaient en place des « rituels de résistance » grâce auxquels ils affirmaient leur individualité et leur autonomie.

Contrairement au folk du début du XXe siècle et à la protest song des années soixante, dont le potentiel de résistance s’exprimait avant tout par des textes engagés et militants, c’est la forme même de ces musiques électrifiées qui justifiait leur lecture en termes de résistance : intensité du volume sonore, rapidité, voire brutalité de l’exécution, électrification permettant distorsion et saturation, chant souvent proche du hurlement, comportement scénique agressif… Bien que ces analyses aient fait l’objet de nombreuses remises en question (Muggleton, Blackman & Kempson, Berzano, Weesjes & Worley, Bennett) et qu’elles ne concernent que des formes relativement circonscrites de musique populaire, elles continuent d’être reprises par la presse et le public, au point de constituer aujourd’hui plus qu’une évidence, un cliché.

Mais est-ce que le bruit, la violence, le cri, la manifestation exacerbée des émotions, des colères et des frustrations constituent la seule façon d’entrer en résistance ? Est-il nécessaire d’œuvrer depuis les marges, d’adopter des positions extrêmes, des stratégies radicales ? Qu’en est-il des formes plus neutres, plus consensuelles et souvent plus populaires en termes de chiffres de vente, de visionnements ou de téléchargements, qui ne font pas l’objet d’analyses et de commentaires exaltant leur potentiel rebelle, leur capacité à stimuler la révolte ? Qu’en est-il de l’impact des mégastars du mainstream qui s’invitent aux élections américaines comme aux cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques ? Exercent-elles un travail de sape, une remise en question souterraine des valeurs dominantes de la société, une contestation des différentes formes d’autorité ou ne font-elles que conforter le statu quo ? Au-delà des pratiques subversives dûment répertoriées et du vocabulaire bien établi de la résistance qui risquent de s’avérer contre-productifs par leur caractère prévisible, qu’en est-il de la présence toujours plus affirmée des femmes sur la scène musicale, d’artistes issues des minorités genrées et sexuelles ou non conformes aux normes de la validité ou de la beauté ? Qu’en est-il du succès planétaire d’artistes africains-américains ou latinx, de Beyoncé au Portoricain Luis Fonsi, dont le « Despacito » est la chanson la plus regardée sur YouTube avec 8 milliards de vues ? Qu’en est-il de l’impact des musiques expressément conçues pour la danse ? De celui d’artistes s’exprimant précisément à l’intersection de ces différentes problématiques ? Quel rôle jouent des thématiques et des ingrédients rarement associés à la résistance tels que l’humour ou l’amour ?

Et si c’était chez les artistes et les publics les plus « conservateurs » (au sens politique et social) que s’observeraient dorénavant les formes les plus abouties de résistance, mais cette fois une résistance à ce qui jusqu’à présent se présentait comme des formes et des forces de contestation et de révolte. Plutôt que de considérer quelques figures du siècle dernier, telles que Merle Haggard avec « Okie from Muskogee » et Sgt Barry Sadler avec « The Ballad of the Green Berets », comme des anomalies isolées, il serait pertinent de les envisager comme les précurseurs d’une tradition robuste et persistante au sein de la musique mainstream. La présence de messages conservateurs dans la musique populaire, loin d’être marginale, est une constante qui traverse les époques. De nos jours, nombreux sont les artistes qui continuent de véhiculer des idéologies conservatrices, s’opposant avec succès au wokisme, à la cancel culture, au militantisme féministe ou LGBTQ+, ou encore à l’Establishment sous toutes ses formes (politique, médiatique, etc.) au sein d’un mainstream musical proposant une « contre-résistance » conservatrice élaborée.

En outre, il serait également pertinent d’aborder des exemples contemporains où des artistes ont engagé une résistance directe contre l’industrie musicale elle-même (un cas emblématique est celui du procès intenté par Pearl Jam à Ticketmaster en 1994 en raison de leur politique jugée monopolistique). La résistance peut ainsi prendre la forme de défis lancés aux mécanismes économiques et commerciaux qui régissent la production musicale.

Au bout du compte, ces questions reviennent à interroger la nature même de la résistance, les formes qu’elle peut prendre comme les objets auxquels elle s’attaque. Et au-delà, la pertinence même du concept et sa réalité concrète dans l’espace social. Où se situent aujourd’hui les vraies prises de risque, les engagements les plus militants ? Qui cherche encore à résister, et à quoi, qu’il s’agisse des artistes ou du public ? Faut-il vouloir expressément rendre audible sa révolte par des pratiques culturellement codifiées ou bien l’adoption de formes musicales consensuelles peut-elle néanmoins, à l’insu même des protagonistes, engendrer des formes de résistance ? Et avec quelle efficacité ?

Ou peut-être qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de simplement résister, mais plutôt d’agir de façon active, à l’instar des artistes elles-mêmes, non pour des luttes abstraites et globales, mais pour des causes concrètes et locales en fonction des villes où se déroulent les concerts, telles que l’accès à l’eau, le fracking ou l’inscription sur les listes électorales, comme le font Billie Eilish, Dave Matthews Band, My Morning Jacket, The 1975, AJR ou Taylor Swift.

On attendra, à titre d’exemple, des propositions portant sur les aspects suivants :

  • La musique de danse des communautés ethniques et LGBTQ+, du disco à la house et à la techno
  • La country contemporaine des communautés africaine-américaine et/ou gay (Beyoncé, Breland, Lil Nas X, Orville Peck)
  • Les nouvelles formes de protest song (Oliver Anthony)
  • Les concerts en résidence de stars internationales à Las Vegas
  • Les nouvelles formes de conscious rap (Kendrick Lamar)
  • Le rôle des mégastars (Taylor Swift, Billie Eilish, Lady Gaga, Selena Gomez)
  • L’impact sur le mainstream d’artistes ou de maisons de disques issus de la marge (Pat Smear de The Germs intégrant Nirvana ; The Gun Club influençant les White Stripes)
  • Les formes musicales conservatrices, du Christian rock au country-trap (Jason Aldean, Tom MacDonald)
  • Le rôle des artistes participant à la fois du mainstream et de la marge (David Bowie)

Les propositions de communication de 300 mots, accompagnées d’une bibliographie et d’une courte notice biographique, sont à envoyer au plus tard le 19 janvier 2025 à :
paulthomas.cesari@gmail.com
simon.hierle@unilim.fr
claude.chastagner@univ-montp3.fr


Références
Berzano, Luigi, & Carlo Genova, eds., Lifestyles and Subcultures. History and a New Perspective, 2015, Routledge.
Blackman, Shane, & Michelle Kempson, eds., The Subcultural Imagination. Theory, Research and Reflexivity in Contemporary Youth Culture, 2016, Routledge.
Drake, Simone C., Dwan K. Henderson, eds., Are You Entertained? Black Popular Culture in the Twenty-First Century, Duke U P, 2020.
Hall, Stuart & Tony Jefferson, eds. Resistance Through Rituals: Youth Subcultures in Post-War Britain, Hutchinson, 1976.
Hansen, Kai Arne, Pop Masculinities: The Politics of Gender in Twenty-First Century Popular Music, Oxford U P, 2022.
Hebdige, Dick, Subculture: The Meaning of Style, Routledge, 1979.
Hoskins, Kate, & Carlo Genova, eds., Digital Youth Subcultures. Performing ‘Transgressive’ Identities in Digital Social Spaces, 2023, Routledge.
Hubbs, Nadine, Rednecks, Queer, and Country Music, U California P, 2014.
Kehrer, Lauron J., Queer Voices in Hip Hop: Cultures, Communities, and Contemporary Performance, U Mississippi P, 2022.
Leibetseder, Doris, Queer Tracks: Subversive Strategy in Rock and Pop Music, Routledge, 2016.
Li, Xinling, Black Masculinity and Hip-Hop Music: Black Gay Men Who Rap, Palgrave Macmillan, 2019.
Maus, Fred E., and Sheila Whiteley, eds., The Oxford Handbook of Music and Queerness, Oxford U Press, 2018.
McKay, George. Senseless Acts of Beauty: Cultures of Resistance Since the 60s, Verso, 1996.
Melly, George, Revolt into Style. The Pop Arts in Britain, Penguin, 1970.
Muggleton, David, Inside Subculture: The Postmodern Meaning of Style, Berg, 2000.
Pecknold, Diane, ed., Hidden in the Mix. The African American Presence in Country Music, Duke U P, 2013.
Scott, James C., Domination and the Arts of Resistance. Hidden Transcripts, Yale U Press, 1990.
Smalls, Shanté Paradigm, Hip Hop Heresies. Queer Aesthetics in New York City, NYU Press, 2022.
Taylor, Jodie, Playing it Queer: Popular Music, Identity and Queer World-Making, Peter Lang, 2012.
Weesjes, Elke, & Matthew Worley, eds., Music, Subcultures and Migration. Routes and Roots, 2024, Routledge.
White, Miles, From Jim Crow to Jay-Z: Race, Rap, and the Performance of Masculinity, U of Illinois P, 2011.

 

Dernière mise à jour : 18/11/2024